La prédation ou l’enfer de l’humain d’attachement

Qu’est-ce que la prédation ?
C’est une séquence comportementale génétiquement programmée. La prédation fait partie des patrons-moteurs* irrépressibles. Elle s’impose au chien parce qu’elle est instinctive et le place en mode « exigence » dans la pyramide de ses besoins et motivations (cf. article « Anthropomorphisme versus sécurisation » sur cette page). La prédation n’est pas émotionnelle. Si l’on observe un chien en transe de chasse, on constatera qu’aucune colère ne transparaît, aucune haine et encore moins de la peur ou de la joie. L’agression suppose une menace. Or pour le prédateur, la proie n’en est jamais une. Je ne fais donc pas partie des professionnels qui rangent la prédation dans les comportements agressifs.

Quand le chien exprime la prédation sur une proie réelle (par opposition à la simple chose qui bouge), elle apparaît comme un comportement naturel exprimé dans le calme, la précision, la concentration. La prédation est innée (non apprise, à l’exception de son perfectionnement sur des activités précises). Elle apparaît durant l’adolescence. Étant génétique, elle s’impose au chien dans la phase pubertaire (entre 6 et 24 mois selon les races et les lignées). Et comme elle est auto-renforçante, le chien qui chasse le fait pour chasser. Cette activité de l’éthogramme s’avère orgasmique pour le chien qui s’y adonne car la puissance du renforcement est énorme. Le chien n’a pas besoin de son humain pour obtenir ce renforcement. Quand le chien chasse, il satisfait des patrons-moteurs incontournables présents dans sa lignée depuis des générations. Ainsi, le chien qui chasse ne le fait pas forcément pour manger, rarement d’ailleurs. Bien des chiens expriment la prédation dans une séquence comportementale* incomplète. Les « trous » dans la séquence sont le résultat de la sélection génétique opérée par l’homme. Ainsi, un chien peut fixer une proie sans jamais se lancer à sa poursuite ou la poursuivre sans jamais la capturer. Ce qui est certain c’est que la prédation nourrit la prédation. Autrement dit, plus le chien chasse, plus il chassera. Plus le chien satisfait son patron-moteur génétique, plus celui-ci prend de la place. Alors, la prédation reste un comportement qu’il est impossible de faire disparaître une fois qu’il s’est exprimé. En revanche, c’est la socialisation précoce et l’imprégnation dans les premières semaines de vie qui neutraliseront la prédation. Concrètement, un chiot qui côtoie beaucoup de chats depuis sa naissance ne les chassera jamais. Mais quand ce n’est pas le cas, quand le gène de la prédation s’est ouvert, quand le comportement s’est exprimé et quand le chien a été renforcé, il est nécessaire d’apprendre sérieusement à gérer la situation.

🦊 Comment s’exprime t-elle ?
L’ouverture du gène de la prédation s’opère souvent de manière violente (pour nous) lorsque le chien est encore très jeune. La prédation prend souvent l’humain par surprise et s’empare de son chien qui ne répond plus aux signaux connus comme le rappel. L’homme dit alors que son chien n’obéit plus alors qu’il serait plus juste d’affirmer que le chien n’entend plus rien. Quand je dis que la prédation « s’impose » au chien, je pèse mes mots. Il n’y a pas d’autre moyen de l’expliquer à mon sens. Comme tous les prédateurs, la vision du chien est basée sur le mouvement. La fuite de la proie est le déclencheur de la chasse. Le nerf optique du chien est alors excité. La pupille se dilate et déjà le chien est ailleurs. Et même si le chien reste immobile, en posture basse, juste devant nous, il n’est plus avec nous. Tous ses sens convergent vers un seul et même objectif nécessaire : capturer la proie. En cela, le chien qui prédate ne désobéit pas. Il est en transe. C’est un phénomène que je prendrai toujours le temps d’expliquer à mes clients car c’est ce qui va permettre d’instaurer la bienveillance envers le chien. Cette bienveillance et la patience qui l’accompagne sont essentielles au coaching et à la gestion comportementale de la prédation. Je sais à quel point elle peut s’avérer irritante. Certains chiens n’expriment la prédation que sur des proies réelles, souvent de petite taille (lapins, rats, chats, poules, etc.). D’autres vont l’exprimer sur des proies bien plus grosses qu’eux (moutons, vaches, chevaux, etc.). Enfin et malheureusement, certaines lignées expriment la prédation sur tout ce qui est en mouvement (voiture, vélo, trottinettes, joggers, enfants qui courent), ce qui est totalement anormal.

🦊 Comment accepter la prédation ?
Témoignage anonyme entendu en étude : « Mon chien (que je croyais connaître) a tué le chaton de ma voisine qui s’est aventuré chez nous. Je suis traumatisée. Quelque chose s’est brisé entre lui et moi. C’est comme si je ne le reconnaissais plus. J’ai du mal à accepter ce qui s’est passé car je ne voyais pas mon chien comme ça. Je suis forcée de voir en lui un prédateur meurtrier alors que jusqu’à aujourd’hui, c’était mon chien, doux et gentil. Devant moi, il l’a secoué et lui a disloqué la colonne vertébrale, comme ça, froidement. Pouvez-vous faire en sorte que ça n’arrive plus jamais? Que pouvez-vous faire pour nous aider ? »

Ce témoignage montre à quel point la prédation s’exprime parfois brutalement et nous laisse totalement désemparés, dans l’horreur. On n’aura beau écrire des articles de fond remplis de bon sens, on aura beau avoir beaucoup d’expérience et être fort de connaissances théoriques, il demeure que l’animalité de notre chien se révèle parfois être un vrai problème. Si c’est le cas, il faut l’exprimer et trouver l’écoute face à un professionnel qui saura vous informer, sans juger. C’est en comprenant la prédation que l’on apprend à vivre avec elle. En parler est fondamental. C’est sur le terrain que la prédation se gère au quotidien et on n’agira pas de la même manière selon les chiens et selon les duos homme-chien. Gérer la prédation est une chose difficile pour tout le monde. Je dirai qu’avant de se gérer, la prédation se digère. Nous avons besoin de passer par une phase d’acceptation que toute sa vie, notre chien pourra nous échapper pour aller assouvir un besoin animal et primaire. Et en même temps, il nous faudra comprendre qu’en dépit de la prédation qui peut s’emparer de lui, il est inconcevable que notre chien vive attaché. La privation de liberté crée des comportements compulsifs. Le salut n’est pas dans la laisse. Je précise que je ne parle ici que des chiens qui expriment la prédation sur des proies réelles. Ceux qui s’élancent sur les humains ou les voitures doivent être retenus et même muselés (pour ceux qui capturent). Pour ceux-là, une rééducation (et parfois une médication) accompagnée d’un professionnel compétent sera nécessaire. Pour les autres, la prédation ne représente un danger que pour eux-mêmes. Elle leur fait courir le risque de se perdre ou de se blesser. En forêt ou en montagne, à n’importe quel moment, l’angoisse est présente. En 2/10ème de seconde le chien disparaît pour s’engouffrer à corps perdu dans des massifs d’aubépine et revenir écorché vif, sauter dans le vide et atterrir 10 mètres plus bas dans un lac, partir au triple galop sous le soleil de plomb de la garrigue et manquer de peu le coup de chaleur fatal, etc. Le discernement l’a quitté, comme notre chien nous a quitté pour succomber à son instinct.

🦊 Comment gérer la prédation ?
Toutes ces extrémités et bien d’autres, je les ai vécues avec ma propre chienne, Scarlet. La prédation s’est exprimée alors qu’elle avait 10 mois. Elle m’a prise au dépourvu quand je pensais qu’elle n’arriverait plus. Soudainement, comme si une mouche l’avait piquée, elle est partie. Le comportement s’est évidemment réitéré de plus en plus, au rythme du renforcement qu’il lui procurait. Au fil du temps, vous apprenez à faire preuve de patience car vous savez que votre chienne revient toujours. Vous relativisez en vous disant qu’elle n’exprime la chasse que sur des petites proies en pleine nature. Vous vous rassurez en vous rappelant qu’elle est sociable et équilibrée. Jusqu’au jour où l’on ne parle plus de « minutes » et que vous cherchez votre chienne depuis maintenant près de 4 heures. Elle s’est perdue en forêt le 24 décembre 2016. Cette fois, le lapin l’a emmenée trop loin, elle n’a pas su revenir. Je ne l’ai retrouvée que le soir, épuisée et sous le choc. Elle était méconnaissable. Je me suis naïvement dit que l’expérience lui servirait de leçon. Mais j’ai vite compris que la seule qui en prendrait une, c’était moi.

Je tiens énormément à ma liberté et à celle de ma chienne. Alors, pour ne pas céder à la facilité de l’attacher, j’ai décidé de la placer sous un tracker GPS performant et fiable. À ce moment-là, je ne le savais pas encore, mais j’étais déjà en train de gérer la prédation de ma chienne. La balise (qu’elle porte à chaque sortie) a pour but de me rassurer. Je sais que je ne peux plus la perdre. Je la suis à la trace grâce à mon smartphone et quoiqu’il arrive, je sais exactement où elle se trouve. Si elle ne revient pas, c’est moi qui marche dans sa direction. Et à chaque fois, nous nous retrouvons très vite. Cette sécurité m’a permis de surmonter l’épisode de la forêt. Naturellement, l’idée de ne plus la libérer m’a traversé l’esprit. Mais l’absence de liberté, la frustration, la colère n’amènent rien de bon et auraient détruit le lien que j’ai avec elle. Quand la prédation s’est imposée, nous avions déjà une amitié forte. Lorsqu’il faut gérer un chien prédateur, mieux vaut que cette complicité soit ancrée. J’étais déjà pour ma chienne une entité positive. Je comptais désormais lui montrer que je pouvais être encore plus renforçante.

Les balles, les kongs, les frisbees ont disparu de la maison. Toute forme de jeu de recherche et de prédation également. Les activités de poursuite, de pistage et de rapport ont été fortement conditionnées dans l’environnement extérieur. Mais même si aujourd’hui la balade est associée à toutes ces activités, je ne sors mon artillerie qu’au moment clef. Le patron-moteur le plus fort chez Scarlet est la poursuite. Elle capture en bouche douce. Elle a l’air surprise quand elle y parvient (très rarement) et relâche immédiatement la proie, sans la tuer. Ce qu’elle aime, c’est poursuivre les lapins, les chats, les rats, etc. Et je sais qu’avant qu’elle ne déclenche, je n’ai que quelques secondes. Au-delà, c’est peine perdue de la rappeler et je m’en remets à la balise. Voilà pourquoi Scarlet marche toujours devant moi. Ainsi, j’ai la possibilité de bien l’observer. J’ai la chance d’avoir une chienne qui, en dehors de la chasse, vit sa vie tranquillement, renifle, marque, explore. Aucun chien et aucun humain ne l’attire, pourtant elle est sociable. À 10 ou 15 mètres devant moi, je surveille le raidissement de son corps immédiatement suivi de la démarche typique du berger en traque. Alors, à la seconde où elle se contracte, c’est l’interrupteur « Va chercher ta balle » qui me permet de la récupérer. Lorsqu’elle se retourne, lorsqu’elle abandonne la fixation, je sais que j’ai gagné. C’est à ce moment précis que je sors mon arsenal.

Je suis intimement convaincue que la gestion de la prédation réside dans la réorientation du patron-moteur le plus présent. Le salut n’est pas dans l’annihilation de la chasse. D’abord c’est impossible, ensuite ce n’est pas sain. Le patron-moteur génétique recherche son autosatisfaction. Il faut donc trouver la juste mesure entre satisfaire un besoin éthologique sans pour autant en faire une addiction. C’est pourquoi l’abandon de la fixation est récompensée par l’apparition extrêmement positive et attendue de la balle et de son lancer. Scarlet veut poursuivre. D’accord. Mais c’est moi qui mène le jeu, un jeu structuré et renforcé. Au fur et à mesure de l’entraînement, elle a compris que laisser tomber la fixation lui permettrait quand même de poursuivre. Sauf qu’avec moi elle capture alors que sans moi, elle rate toujours son coup. J’ai pris soin dès le départ de lancer la balle dans des fourrés, là où elle doit pister un bon moment avant de la retrouver. J’ai une chienne obstinée qui ne laissera jamais sa balle derrière elle. Le pistage évite la montée en excitation. Il permet au chien de se calmer. Lorsqu’elle revient vers moi, elle est totalement passée à autre chose. Elle me ramène joyeusement sa balle et demande que je recommence. Ce que je ne fais évidemment pas. Je lui dis gaiement « Allez, on y va ! » et elle est ravie de continuer notre balade. À ce moment-là, la prédation est loin derrière nous. Jusqu’au prochain épisode.

Lorsque j’ai compris que j’allais être en compétition avec la prédation, j’ai installé des renforçateurs sur tous les comportements spontanés de Scarlet. « Tu m’attends ? Merci. » quand elle s’arrête devant moi et se retourne pour regarder ce que je fais. « Tu cherches ? Fais-voir ! » pour lui montrer que je suis fière qu’elle renifle le sol. « Tu es gentille » quand elle fait demi-tour et vient marcher à côté de moi. « Tu reviens ? Merci. » quand elle se rabat d’elle-même. Le simple fait que je lui parle et que je lui montre que toutes ses intentions envers moi sont vues et chaleureusement remerciées a renforcé considérablement une relation qui était déjà forte. Nous sommes connectées. Scarlet a aujourd’hui 6 ans et je constate que sa prédation, sans avoir totalement disparu (car je répète que c’est impossible), s’exprime beaucoup moins. Est-ce la maturité ? Est-ce l’entraînement ? Est-ce le fait de ne jamais rien capturer qui l’a renforcée négativement ? Est-ce notre lien qui lui fait parfois préférer ma compagnie ? J’aimerais bien… Mais la vérité c’est que je ne sais pas vraiment. Aujourd’hui, je peux seulement affirmer que la prédation est un comportement que je parviens à gérer avec ma chienne et pas contre elle. J’y arrive grâce à un travail quotidien d’observation et de réorientation mais surtout dans un cheminement qui n’appartient qu’à elle et moi. Tous les duos sont différents. Si vous rencontrez ce problème, un éducateur comportementaliste sera toujours de bons conseils. Il vous dira d’attacher votre chien quand vous ne pouvez pas interagir avec lui ou quand vous savez que votre attention n’est pas optimale. Il aura raison. Vous éviterez ainsi de laisser la prédation le renforcer. Pour tout le reste, c’est sur le duo que vous formez avec votre chien qu’il faudra compter.

Patron-moteur : « Un patron-moteur est une posture, un mouvement, ou une séquence de mouvements instinctive et auto-renforcée (autosatisfaction lors de la réalisation du comportement). Trotter, galoper, poursuivre un objet mobile, pointer, fixer un objet avec les antérieurs accroupis sont des patrons-moteurs » (Joël Dehasse, Tout sur la Psychologie du chien, Odile Jacob, 2009). Le patron-moteur s’impose au chien.

Séquence comportementale : Définit une suite de mouvements coordonnés créant un comportement se trouvant naturellement dans l’éthogramme du chien. Une séquence comportementale normale se compose toujours d’une phase appétitive, d’une phase de consommation, d’une phase d’arrêt et d’une phase réfractaire. La séquence comportementale de chasse se divise comme suit : orientation, fixation, traque, poursuite, capture, morsure pour tuer, ingestion immédiate ou dépeçage de la proie avant ingestion ou enterrement de la proie et ingestion tardive. La sélection génétique humaine a brisé la séquence de prédation pour n’en garder que les parties qui se révélaient utiles pour certaines activités humaines. C’est pourquoi certains chiens ne font plus que poursuivre ou fixer.

Rédigé par : Audrey VENTURA
Comportementaliste
Éducatrice canin
@cynoconsult
Valenciennes
0681065599

Article à retrouver sur :https://www.facebook.com/cynoconsult/

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Dogspirit Education Canine Comportementaliste 06.23.62.50.40 Montpellier et environs Tatjana Cerabona - Educateur canin, spécialiste de la relation Homme-Chien

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