C’est qui qui commande ?

C’est qui qui commande ? Vous ou votre chien ? Petite pique à l’égo humain, se faire commander par un chien, un de ces êtres inférieurs qui doivent juste nous tenir compagnie ? Hors de question ! Vous décidez, le chien obéit. Vous décidez, le chien vous suit. Vous voulez un bon chien ? Prenez les décisions à sa place. C’est à votre bon vouloir, quand vous voulez et puis c’est tout.

Après une intervention qui sous couvert d’éducation positive avait un discours de fond moins grossier que celui ci-dessus, mais au moins tout aussi insidieux, me voilà à me poser une question. Une question pernicieuse. Et là, c’est qui qui commande, ma chienne ou moi ? Et ici ? Et maintenant ? C’est qui qui décide ? Seulement, cette question, tout aussi tentante soit-elle, est … nulle et non avenue. Voyons pourquoi.

1/ un modèle décideur / suiveur

Ce qui nous est présenté est en gros un modèle où l’on décide et l’autre obéit. Si vous ne voulez pas obéir, vous devez décider. C’est un choix binaire. Soit l’un, soit l’autre. Seulement, la plupart du temps ces choix binaires n’existent pas dans la vraie vie. Par exemple, nous pourrions décider ensemble. On peut accepter une proposition sans que ça suppose de l’obéissance. Ça te dit d’aller au cinéma ? Oui. La personne qui répond oui est-elle en train d’obéir à l’autre ? Et si elle a vraiment envie d’aller au cinéma, doit-elle dire « non » et tout gâcher juste pour éviter d’avoir l’impression d’obéir ? Obéir serait-il grave ? Pourquoi ?

Quand mon chien pendant la promenade me dit : tiens et si on allait par là ? Si ça me tente, je peux dire oui. Je ne le suis pas aveuglément. J’étudie la proposition et si ça me va, j’y vais. S’il insiste et me montre que c’est important pour lui, j’étudie d’autant plus sérieusement la proposition. Parfois, je le suis. Parfois pas, parce que les obligations humaines font que rajouter d’énormes boucles à la promenade n’est pas toujours faisable. C’est une négociation entre ses besoins et les miens.

Ce modèle décideur / suiveur est binaire alors que la vie ne l’est pas. Nous pouvons décider ensemble et des choses peuvent se produire sans prise de décision réelle, juste parce qu’on a eu des réflexes. Toutes la différence est dans ces petites idées : tu en penses quoi ? Ça te tente ? Qu’aimerais-tu faire ? S’intéresser à l’autre, à son opinion, à ses désirs, ce n’est pas un problème ou une honte. Ça s’appelle juste « vivre ensemble » en bonne intelligence.

 

2/ la légitimité

L’un des plus gros soucis je pense, c’est cette notion de légitimité. L’humain a l’air de se sentir plus légitime que le chien pour prendre les décisions … Et ce, même pour des décisions qui concernent directement le ressenti du chien. Tu as envie de manger ? Ah oui, mais c’est moi qui décide. Tu as envie de sortir ? Ah oui, mais c’est moi qui décide. Tu as envie de voir des congénères ? Ah oui, mais c’est moi qui décide. Est-ce que ceci est légitime en réalité ? L’idée que c’est l’humain qui décide « toujours » implique que le chien n’est jamais le plus apte des deux à prendre une décision .. Et ça, c’est faux. Désolée, vraiment désolée, mais c’est faux.

L’humain n’étant pas omniscient, il ne peut pas toujours comprendre et il peut faire des erreurs. Malheureusement, à force de sur-couver nos chiens et de prendre toutes les décisions pour eux, peut-être que nous ne leurs permettons plus de devenir des « adultes responsables ». Peut-être que nous les rendons inaptes à des prises de décisions pourtant légitimes comme : désires-tu t’approcher de ce congénère qui montre les dents, grogne et semble vouloir te manger ? Désires-tu continuer ton repas alors que ton estomac est déjà plein ? … Le chien devrait être apte à prendre ce genre de décisions et à ne pas se mettre en danger. Mais pour ça, il faut un apprentissage, l’apprentissage de la vie, celui qui amène un bébé à l’état d’adulte. Mais une fois fait, peut-être que l’individu qui peut prendre les meilleures décisions pour le chien, c’est justement le chien. Peut-être pas toujours certes et peut-être pas sans apprentissage au préalable nous sommes d’accord.

C’est important que le chien soit apte à sa prise de décision et qu’on lui en laisse la liberté aussi régulièrement que possible parce que : désolée, très chers humains, mais vous êtes faillibles, peut-être moins que moi, mais au moins un peu. Désolée, mais vous pouvez faire des erreurs, vous tromper, oublier quelque chose … peut-être moins souvent que moi, mais au moins de temps à autre.

Est-il légitime que l’humain décide toujours ? Non.

Alors peut-être qu’à chaque fois que la question : c’est qui qui décide nous effleure, nous pourrions nous poser cette autre question : qui est légitime dans cette prise de décision ? Qui est le mieux placé pour prendre cette décision ? Peut-être qu’alors, nous nous rendrions davantage compte du nombre astronomique de décisions que nous prenons sans en être légitime. Toutes ces décisions prises au lieu de concerter le chien ou au moins de le consulter pour lui demander ce qu’il en pense.

Quand mon chien me dit du haut de tout ces signaux corporels : un morceau de promenade en plus, ça ne te dirait pas ? Il est tout à fait légitime dans cette décision. Il vit au milieu de ses besoins et cherche à les assouvir. C’est lui qui aura à gérer l’ennui à la maison. C’est lui qui devra composer avec ça. Alors peut-être que même si on a l’impression d’obéir à son chien, c’est OK. C’est OK, parce que c’est juste. Et peut-être qu’on peut juste être dans la coopération et négocier. Ok, un morceau de promenade en plus, j’ai entendu, par contre, je dois partir dans 20 minutes, alors plutôt ce chemin-là comme ça on ne rentre pas directement mais on allonge la promenade quand même ? En face, le chien peut être un terrible négociateur qui n’écoute pas nos besoins. Alors on s’énerve, on décide que le chien -> il va obéir, parce que c’est qui qui décide hein !, on le force à passer par le chemin le plus court et puis tant pis pour lui … Et pouf, nous voilà transformer en petit dictateur, rassuré de son propre pouvoir. Et quand le chien qui a tenté de nous dire qu’il avait besoin de ce morceau de promenade en plus gérera mal l’ennui, est-ce qu’on le comprendra ? Sans doute pas. Peut-être que nous pourrions être plus modéré et nous dire que si parfois, on a juste pas le choix par rapport à nos propres besoins, quand on a la possibilité, rien ne nous impose d’être ce dictateur sans nom qui n’écoute rien. C’est un choix que nous pouvons laisser de côté, c’est un choix que nous pouvons offrir au chien.

 

3/ un modèle vers la collaboration

Il existe des exercices qui s’intéressent au consentement et qui du coup, vont vers la collaboration. Parce que malheureusement dans le modèle « c’est qui qui décide !? », le consentement du suiveur est souvent oublié … Nous pourrions par exemple, inclure ce type de question : j’aimerai faire ceci, est-ce que ça te va ? Et le chien a la possibilité de dire à tout moment : « non, là, ça ne me va pas, stop ». Je pense notamment à certains exercices de medical training qui sont conçus sur ce principe, mais peut-être qu’avec un peu de malice, on pourrait évaluer le consentement du chien dans bien des situations ? Ou simplement, prendre le temps d’écouter ses propositions ?

Etre un dictateur est un choix, mais si l’obéissance est effectivement au rendez-vous assez souvent, souvenons-nous que les pires révoltes peuvent aussi avoir lieu. Personne n’a envie de vivre avec un dictateur. Vos chiens n’ont pas envie de ça. Et vous, tout aussi fier que vous soyez de leur obéissance, vous n’avez pas envie de voir vos chiens ainsi …. car voir un chien qui essaie, qui teste, qui prends des décisions, c’est également voir un chien vivant. Un chien qui a les yeux qui pétillent. Avoir un chien éteint, c’est peut-être joli quand on ne connait rien d’autre, mais le jour où l’on découvre un chien vivant, on ne veut plus retourner en arrière.

 

4/ le choix des mots

Au final, le décideur pourrait être qualifié d’alpha ou de chef de meute ou encore de dominant, à contrario, celui qui obéit pourrait être le soumis. Si on emploie ce genre de mot, une personne avertie, quelqu’un qui s’intéresse à l’éthologie par exemple va immédiatement comprendre qu’il y a un problème avec ce modèle. En vidéo, un bref récapitulatif autour de la hiérarchie.

Mais, ce genre de mots n’ont pas besoin d’être présents pour que l’idée de fond soit là. L’idée de fond de la hiérarchie, c’est peut-être simplement, je décide -> tu obéis. Pourquoi ? Parce que je suis légitime et toi, tu ne l’es pas. Il y a une notion de statut ici. C’est peut-être cette idée de fond qu’il faudrait alors remettre en cause ? Un seul problème et pas des moindres. Pour remettre cette idée en cause, il faut aller chatouiller l’égo de l’humain et lui dire que le chien a lui aussi de la valeur. Parfois, le chien décide et c’est OK. Parfois, l’humain obéit et c’est OK. Le monde ne s’écroule pas, tout va bien.

L’égo de l’humain, il n’aime pas bien ça. Il préfère être flatté. Alors flattons-le une seconde. Un immense bravo à toutes les personnes qui ont compris que la honte, ce n’était pas d’écouter l’autre mais au contraire, de faire la sourde oreille. Un immense bravo à toutes les personnes qui ont décidé d’avoir un coeur et de laisser parler leur empathie. Un immense bravo à toutes les personnes qui mettent leur égo de côté le temps de se poser la question : suis-je légitime ? Et pourquoi je ne l’écouterai pas ? Un immense bravo à tout ceux qui prennent quelques secondes pour écouter leurs chiens. Un immense bravo à tout ceux qui se rendent compte que la collaboration est un modèle tellement plus riche, intéressant, fascinant, pleins d’apprentissages sur soi-même autant que sur son chien. Un immense bravo à tout ceux qui parviennent à avoir de super relation avec leurs toutous en acceptant qu’ils aient des cerveaux fonctionnels 🙂

Vraiment bravo ! Vous êtes tous géniaux. Et vous savez ce qui est le mieux dans tout ça ? On peut tous recevoir ces bravos, juste en acceptant d’essayer et d’observer ce que nous dit le chien. On est maître de cette décision là. Alors à vous de choisir et … bravo pour tout vos essais !

 

Encore un grand merci à Céline de Hund beta pour cet article que vous pouvez retrouver sur :

https://hund.fr/actualites/cest-qui-qui-commande/121/

dogspirit
Dogspirit Education Canine Comportementaliste 06.23.62.50.40 Montpellier et environs Tatjana Cerabona - Educateur canin, spécialiste de la relation Homme-Chien

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