Comment fonctionne le couple humain-chien ?

Pourquoi les chiens nous sont-ils si attachés ? Quelle est la profondeur du lien qui les unit à nous ? Lorsque nous avons l’impression qu’ils nous « imitent » ou nous comprennent, faisons-nous fausse route ? Charlotte Duranton est éthologue et chercheuse à l’université Aix-Marseille, en partenariat avec le département de recherche du refuge Aide aux Vieux Animaux. Ses travaux sur les relations homme-chien lui ont valu d’être invitée à les présenter au Canine Science Symposium à San Francisco (Etats-Unis) les 11 et 12 mars prochain devant tout un panel de scientifiques et de professionnels du monde canin! Pour la chercheuse, mieux comprendre le mécanisme de la relation entre l’homme et le chien pourrait être très bénéfique aussi bien aux chiens de compagnie qu’aux chiens de refuge : en cernant mieux leur fonctionnement et leurs attentes, les humains pourraient leur éviter d’être abandonnés pour des causes comportementales, et surtout pourraient leur trouver plus facilement la bonne famille. Explications en détails !

Pet in the City : Charlotte, peux-tu nous présenter ton domaine de recherche ? Sur quoi concentres-tu ton travail et pourquoi avoir choisi ce sujet plus qu’un autre ?

Charlotte Duranton : Je suis chercheur en éthologie, c’est-à-dire que j’étudie le comportement des animaux. J’ai exercé en tant qu’éducateur canin avant de retourner dans le milieu universitaire, c’est pourquoi je suis très intéressée par les relations unissant les humains et les chiens. Mon domaine de recherche découle tout simplement de mes expériences passées : j’étudie les interactions humains-chiens. Je travaille principalement sur la sensibilité des chiens aux signaux de communication humaine : en Autriche, au Clever Dog Lab, j’ai travaillé sur la capacité des chiens à suivre notre regard. Et depuis trois ans, à l’Université d’Aix-Marseille, en partenariat avec le département de recherche du refuge AVA, je travaille sur l’influence de nos déplacements corporels sur le comportement des chiens. Les chiens sont-ils sensibles à nos déplacements ? Si oui, s’y synchronisent-ils ? Et comment les utilisent-ils pour se comporter dans différentes situations ?

Pet in the City : Qu’est-ce que le phénomène de « synchronisation comportementale » ? Chez quelles espèces peut-on l’observer ?

Charlotte Duranton : La définition précise est assez complexe, mais en gros, se synchroniser avec quelqu’un, c’est faire la même chose que lui, au même moment, au même endroit. On peut se synchroniser à plus ou moins haut niveau : faire exactement les mêmes actions, ou ne présenter que de la synchronie locale, ou d’activité, ou temporale. Pour que ce soit plus clair, un exemple : si Martin et Henri sont assis côte à côte et lisent en même temps, ils présentent de la synchronie locale et d’activité (ils font la même chose au même endroit). Si Martin et Henri sont assis chacun à un bout et l’autre d’une pièce, ils sont en synchronie d’activité (ils lisent tous les deux) mais pas locale. Enfin, si Henri et Martin cessent tous les deux de lire au même moment, mais qu’Henri se lève tandis que Martin reste assis mais se gratte la tête, ils sont en synchronie temporale (ils changent d’activité au même moment), mais pas d’activité, car ils ne font pas la même chose.

Ce type de synchronie n’est pas forcément consciente. En effet, la synchronie consciente, qui consiste à faire intentionnellement la même chose que l’autre, permet de faire de la coopération, mais c’est un domaine d’étude encore bien différent, que je n’aborde pas dans mes travaux.

On retrouve cette synchronie chez de nombreuses espèces, et à différentes échelles. Au niveau d’un groupe, dans les déplacements (notamment chez les oiseaux ou les primates par exemple), dans l’activité (par exemple les moutons qui broutent tous en même temps). On retrouve aussi de la synchronisation comportementale entre deux individus, chez de nombreuses espèces : chez les kangourous, les oiseaux, les dauphins, les orang-outans, les humains ! Cela est essentiel pour protéger les petits par exemple, ou pour trouver de la nourriture plus facilement.

On sait aussi qu’un facteur important dans la présence de synchronisation est le lien qui existe entre les deux individus: plus ils sont liés, proches, plus la synchronisation est importante.

Pet in the City : Quelle est la spécificité de la synchronisation comportementale entre les humains et les chiens domestiques ? Pourquoi est-il intéressant de l’étudier ?

Charlotte Duranton : La synchronisation comportementale, bien qu’elle soit connue chez de nombreuses espèces, n’a quasiment jamais été étudiée entre deux espèces différentes. C’est assez difficile à étudier, car il faut trouver des individus d’espèces différentes qui interagissent régulièrement et qui ont développé un lien. C’est pour ça que le modèle de la dyade (le couple) humain-chien est considéré comme un très bon modèle pour étudier ce phénomène ! Les chiens sont très sensibles à nos signaux de communications, et ils ont développé un fort lien avec les humains (tout du moins l’humain avec lequel il partage leur quotidien, en général). On suppose alors qu’il doit bien exister de la synchronisation comportementale entre les chiens et les humains, et nous avons commencé à étudier ce phénomène.

C’est essentiel, car cela peut nous permettre de mieux comprendre comment fonctionnent les chiens, et comment notre comportement peut les influencer. En plus, observer la présence d’un phénomène qui existent chez d’autres espèces, parfois dites sauvages, lors des interactions entre espèces différentes, dont une domestiquée, est essentiel pour comprendre à quoi sert ce mécanisme et comment il se met en place.

Par exemple, nous avons montré que lorsqu’ils sont confrontés à une personne inconnue, les chiens regardent la réaction de leur maître et se synchronisent avec lui. Si leur maître recule, les chiens mettent plus de temps avant d’approcher la personne inconnue, mais la regardent plus rapidement (on regarde plus rapidement ce qu’on considère comme une potentielle menace, pour être plus réactif si nécessaire). Nous en avons déduit que les chiens apprenaient au quotidien à utiliser le comportement de leur maître comme référence pour savoir comment se comporter, lorsqu’ils sont dans une situation qui les fait hésiter.

Pet in the City : Pourquoi est-il intéressant de comparer les comportements des chiens de compagnie et des chiens de refuge en la matière ?

Charlotte Duranton : Les chiens de compagnie sont, comme on l’a dit, considérés comme étant liés à l’humain, ils ont un « maître », un humain avec lequel ils ont une relation préférentielle forte, ils côtoient des humains tous les jours, pendant plusieurs heures, voire toute la journée pour les plus chanceux. Les chiens de refuges eux, au contraire, sont considérés comme une population de chiens manquant de contact avec l’humain. Même quand le personnel du refuge fait de son mieux, il est difficile de fournir autant d’attention, de présence aux chiens (parfois plus de 100) qui sont dans le refuge que ce que rencontre un chien de compagnie dans sa famille. Souvent donc, les chiens de refuge voient peu l’humain. Lorsqu’ils ont la chance de voir assez régulièrement un humain, et d’établir une relation préférentielle (avec leur soigneur favori par exemple), elle n’est en général pas comparable (en terme de temps et d’activités partagées) avec la relation unissant un maître et son chien de compagnie.

En plus, l’environnement du refuge est souvent stressant pour le chien, et ne ressemble en rien à celui d’une vie de famille.

C’est en cela que les chiens de refuge sont souvent comparés avec les chiens de compagnie : la vie en refuge, le manque de contact avec l’humain, a-t-il une influence sur le comportement des chiens ? Les chiens de refuge sont-ils plus en demande d’interaction avec les humains ? Savent-ils toujours aussi bien utiliser les signaux communicatifs des humains ?

Par exemple on sait que les chiens de refuge (qui y restent au moins 2 mois) ont « perdu » l’habitude d’utiliser certains signaux de communication humaine, comme le pointage du doigt, sans doute parce qu’ils y sont moins confrontés que les chiens de compagnie. Ils ont aussi perdu l’habitude de différencier certains états attentionnels de l’humain : alors que les chiens de compagnie préfèrent quémander de la nourriture à quelqu’un qui ne lit pas plutôt qu’à quelqu’un qui lit (et donc ne fait pas attention à eux), les chiens de refuge eux, quémandent indifféremment aux deux, car ils ne sont plus habitués à fréquenter des humains qui lisent (et donc ne se « rappellent pas » qu’un humain qui lit est moins attentif à eux qu’un humain qui ne lit pas).

Nous avons donc voulu voir si la vie en refuge modifie également la synchronisation comportementale qui existent entre les chiens et les humains. Pour cela, nous avons comparé les chiens de refuge avec leur soigneur favori, aux chiens de compagnie avec leur propriétaire, dans plusieurs situations identiques. Les études sont terminées et en cours de publication, mais les résultats indiqueraient que les chiens de refuge se synchroniseraient bien avec leur soigneur, mais à un degré moindre que les chiens de compagnie avec leur maître, et dans des situations moins « complexes ». Articles à venir !

Pet in the City : En quoi la synchronisation comportementale peut-elle avoir un rôle dans l’amélioration du bien-être des chiens de refuge et des chiens de compagnie ?

Charlotte Duranton : Il est essentiel d’étudier le phénomène de synchronisation chez les chiens de compagnie, pour bien le comprendre, et pour voir les applications que cela peut avoir pour les couples chiens de compagnie-maître, favoriser la relation, améliorer la gestion du chien au quotidien et réduire les risques d’abandon. Mais lorsque les chiens sont déjà abandonnés, comprendre ce phénomène chez les chiens de refuge est également important lorsque l’on veille au meilleur bien-être possible des chiens le temps de leur séjour dans le refuge, et pour favoriser au mieux les adoptions réussies.

Les chiens de refuge peuvent développer des troubles de comportement liés à une trop forte solitude, ou a un manque de relation privilégiée. Comme on sait que la présence de synchronisation est liée au lien unissant deux individus, la présence de synchronisation de la part du chien de refuge pourrait être un bon indicateur des humains avec lesquels il aiment interagir, que ce soit avec les soigneurs, promeneurs, le personnel amené à les côtoyer, et donc on pourrait mettre les chiens avec leurs soigneurs ou promeneurs préférés.

Puisque nous avons démontré que les chiens de refuge se synchronisaient avec leur soigneurs, cela est important à savoir pour le management des déplacements des chiens, lors des promenades par exemple.

On sait aussi que la synchronisation comportementale joue un rôle dans la décision d’adoption d’un chien. Il a été montré que les potentiels adoptants préfèrent les chiens qui se synchronisent avec eux (restent près d’eux, jouent quand ils veulent jouer, s’allongent quand les gens s’assoient…). Inversement, si l’on voit un chien se synchroniser avec la famille A, mais faire sa vie de façon assez indifférente à la famille B, on pourra creuser plus sur la famille A comme potentielle adoptante.

Les applications sont multiples mais dans tous les cas, étudier la synchronisation entre les chiens de refuge et les humains nous permet de rappeler qu’il est important de favoriser l’établissement de relations privilégiées entre les chiens de refuge et au moins un humain, et de sensibiliser le personnel travaillant au contact des chiens à ce phénomène.

Plus d’informations

*C. Duranton, F. Gaunet, Behavioural synchronization from an ethological perspective : overview of its adaptive value, Adoptive Behavior, 2016

Relisez notre article du 30 mai 2016 synthétisant cette étude

*C. Duranton, F. Gaunet, Canis sensitivus : affiliation and dogs’ sensitivity to others’ behavior as the basis for synchronization with humains?, Journal of Veterinary Behavior, 2015.

*C. Duranton, F. Gaunet, T. Bedossa, When facing an unfamiliar person, pet dogs present social referencing based on their owners’ direction of movement alone, Journal of Veterinary Behavior, 2016

*C. Duranton, F. Gaunet, Effects of shelter housing on dogs’ sensitivity to human social cues, Journal of Veterinary Behavior, 2016

Source : Pet in the city, interview avec Charlotte Duranton, éthologue

http://petinthecity.fr/?p=5241

dogspirit
Dogspirit Education Canine Comportementaliste 06.23.62.50.40 Montpellier et environs Tatjana Cerabona - Educateur canin, spécialiste de la relation Homme-Chien

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